L'île d'Islay, synonyme de fumée et de tourbe (Ardbeg, Laphroaig, Lagavulin), abrite pourtant des expressions qui prouvent que son terroir va bien au-delà du phénol. Bruichladdich, située sur la côte ouest, est l'incarnation de cette philosophie "à contre-courant", faisant de l'exception une signature de force.
Fondée en 1881, Bruichladdich est célèbre pour sa renaissance en 2001 sous l'impulsion de Mark Reynier et du légendaire Jim McEwan. Leur vision fut de rejeter l'industrialisation en remettant en service l'équipement victorien d'origine, sans automatisation, et avec un engagement total envers l'authenticité et la traçabilité.
Produire un Single Malt non tourbé sur l'île de la tourbe est un acte délibéré chez Bruichladdich. Le but est de permettre aux autres éléments du terroir d'Islay de s'exprimer pleinement, sans le voile dominant de la fumée :
L'Orge : Au cœur de leur philosophie. Ils mettent l'accent sur la traçabilité, notamment avec l'utilisation de l'orge cultivée à Islay pour des expressions comme l'Islay Barley 2011. L'orge confère des saveurs pures de céréales, de noisette et de minéralité.
L'Eau : Captée d'une source sans contact avec la tourbe, elle garantit une pureté cristalline au distillat.
Contrôle Artisanal : Le refus de l'automatisation, la non-filtration à froid et l'absence de colorant (E150a) garantissent l'intégrité maximale. Les alambics hauts et minces produisent un distillat fin et élégant.
L'Air Marin : Le vieillissement sur l'île insuffle une délicate salinité et une minéralité qui se mêlent harmonieusement au cœur malté.
Le Bruichladdich Islay Barley 2011 Oak Casks est l'incarnation de ce terroir non masqué : un whisky non tourbé où dominent les notes de céréales douces, de fruits verts (pomme, poire), de vanille (grâce aux fûts de chêne américain et européen) et une minéralité saline subtile.
Bruichladdich n'est pas la seule exception. Deux autres acteurs majeurs de l'île proposent également des expressions non tourbées (ou très légèrement) :
Style Majoritaire : Principalement Non Tourbé.
Caractère : Fondée la même année que Bruichladdich (1881), elle a délibérément choisi de produire un whisky plus doux. Sa signature est la forte influence du Xérès (Sherry Casks) et une douceur marine non masquée.
Notes Dominantes : Fruits secs, noix, épices douces, chocolat, caramel, et des embruns marins doux. C'est une onctuosité riche et fruitée, ancrée dans le terroir d'Islay sans la fumée.
Style Majoritaire : Principalement Tourbé (sa production est massivement destinée aux blends comme Johnnie Walker).
Caractère : La petite quantité produite sans tourbe révèle un distillat étonnamment frais, vif et citrique.
Notes Dominantes : Citron, zeste d'agrumes, herbe coupée, malt frais, avec des notes florales et minérales sous-jacentes. Sans la fumée, elle révèle une pureté aromatique souvent perçue comme plus proche du style "Highland".
Ces expressions non tourbées offrent une formidable occasion de percevoir les caractéristiques "cachées" d'Islay, qui rappellent que chaque distillat a son propre ADN, pleinement révélé lorsque la fumée se dissipe.
Bruichladdich n'est pas une simple distillerie ; c'est un laboratoire qui explore les extrêmes du caractère d'Islay. Sous une même gestion, elle produit trois familles de Single Malts, offrant la gamme de phénols la plus large au monde :
Octomore est la preuve que l'ADN de Bruichladdich est celui de l'expérimentation sans compromis.
Le Concept : Lancée pour la première fois en 2008, la série Octomore porte le nom d'une ferme abandonnée située au-dessus de la distillerie. Elle a été créée par Jim McEwan pour répondre à une question : jusqu'où peut-on aller en termes de tourbe sans sacrifier la qualité et la complexité ?
Le Niveau de Phénols : La tourbe est mesurée en parties par million (ppm) de composés phénoliques dans le malt. Alors que les whiskies d'Islay les plus fumés (comme Ardbeg ou Laphroaig) se situent généralement autour de 50 ppm, Octomore a systématiquement pulvérisé ce record, avec des éditions atteignant et dépassant 300 ppm.
Le Paradoxe d'Octomore : Malgré cette concentration extrême, Octomore est réputé pour sa finesse et sa jeunesse. Le distillat pur et fruité de Bruichladdich parvient à équilibrer la puissance colossale de la fumée, offrant des notes de fruits, de minéralité et une texture crémeuse. L'expérience est intense, mais souvent plus complexe et moins agressive que ce que le niveau de tourbe pourrait suggérer.
Entre le non-tourbé et l'ultra-tourbé, Port Charlotte représente l'expression tourbée classique d'Islay selon Bruichladdich :
C'est un hommage à l'ancienne distillerie de Port Charlotte, un village voisin.
Avec une tourbe autour de 40 ppm, il se positionne comme un malt fortement tourbé, mais qui maintient une structure fruitée et élégante grâce à la pureté du distillat et à l'influence maritime.
En conclusion, Bruichladdich gère le spectre complet de la saveur d'Islay. En plus d'être le chantre de l'orge locale et de la pureté céréalière avec ses expressions "Laddie", elle est le leader mondial de la tourbe extrême avec Octomore. Cette capacité à exceller aux deux extrémités de l'échelle aromatique illustre parfaitement sa philosophie de l'artisanat, de l'expérimentation et du contrôle total.